Jeunesse sans Dieu - O.von Horvath

Horvath

- Editions Sillage -

- Traduit de l'allemand par Marion Roman -

.

Ödön von Horvath ( 1901 - 1938 ) est un dramaturge et romancier de langue allemande né en Hongrie au temps de l'Empire Austro-Hongrois.

Ses pièces, comme ses romans, sont des oeuvres engagées contre le nazisme dès ses prémices ( Une de ses pièces - Revolte auf Cote 3018 - est montée pour la première fois en 1927. Son premier roman Der ewige Spiesser - L'éternel petit-bourgeois paraît en 1930 ). En 1931, il reçoit le prix littéraire Kleist pour la pièce Geschichten aus dem Wiener Wald - Légendes de la forêt viennoise. Cela n'empêche pas ses livres d'être brûlés lors des autodafés dès l'accession au pouvoir d'Hitler en 1933. Il est privé de ses droits d'auteur, les représentations de ses pièces évidemment interdites. Il vit à Vienne confronté aux difficultés professionnelles et financières que connurent les auteurs germanophones opposé au régime nazi à cette époque. C'est en 1938 qu'est publié ce roman Jeunesse sans Dieu ( Jugend ohne  Gott - par les éditions Allert de Lange, l'un des éditeurs d'Amsterdam des auteurs de langue allemande exilés. Parution à succès, le roman sera traduit dès cette première année de publication en plusieurs langues ); 1938 l'année de l'Anschluss qui le contraint à quitter Vienne pour Paris ( après être passé par Budapest et Prague ). Ödön von Horvath meurt écrasé par la chute d'un arbre face au théâtre Marigny le 1er juin, jour de tempête. Une adaptation cinématographique de Jeunesse sans Dieu était en projet.

Dans une dictature inspirée de l'Allemagne des années 1930, un jeune professeur doit affronter l'endoctrinement et le fanatisme d' une écrasante majorité de ses élèves. Peu à peu, il cesse de résister à l'obligation qui lui est faite de préparer une génération à la guerre. Dans un climat de violence, de haine, de négation de toute individualité, l'un de ses élèves est assassiné...

J'apprécie les rééditions que proposent les éditions Sillages mais je préfère mentionner que cette quatrième de couverture est extrêmement réductrice.

Il ne s’agit pas de la révolte de l’enseignant d’une jeunesse fanatisée. Pas de stéréotypes dans ce texte qui n’a rien de la fresque historique, le propos est dense, intimiste, sans pathos. Il se fait révélateur de situations et d’une période troubles – comme le sera ce meurtre, aux mobiles qui n’ont rien de politique au sens strict -, révélateur de cette société allemande entre crise économique, nationalisme et racisme. Il se fait annonciateur de jours froids, de la damnation d’un peuple, de la quête de rédemption d’un homme.

Ni l’époque ni le pays ni la doctrine nazie ne sont nommés explicitement, le lecteur sait – par l’intervention de personnages secondaires plus âgés que le narrateur y faisant référence en précisant qu’ils sont de la génération l’ayant vécue – que les faits se déroulent environ une dizaine d’années après la Grande Guerre.

Amère et cruelle lucidité dans ce roman rédigé en monologue rythmé par des chapitres courts, une narration particulière tant sont prégnantes les angoisses et les questions du narrateur : l’écriture, exigeante et incisive, néanmoins parfaitement limpide, parvient à rendre le paradoxe entre cette acuité, ce réalisme social et la forme de démence dans laquelle ces scènes, ces dialogues, semblent entraîner parfois le narrateur. Mais cette folie n’est pas la sienne. C’est en cela que son enquête sur l’assassinat de l’élève durant un camp de plein air ( d’entraînement militaire ), ses choix de vérité, se font quête. Pourtant, Ödön von Horvath ne donne pas de sens à son récit – y-a-t-il encore du sens ? « Les hommes ont perdu la tête et ceux qui ne l’ont pas perdue n’ont pas le courage de passer la camisole des fous » -, il prononce une sentence : pour jugement, l’enfer qui attend les adolescents de cette génération et leurs parents, filant non pas la métaphore du mouton mais celle du poisson, de la métamorphose en poisson, hors humanité ce corps froid au regard rond, impavide. Métamorphose, oui, il y a quelque chose de kafkaïen dans les angoisses du narrateur aux prises avec son monde, son temps.

Un roman écrit en exil en 1938 qui raconte l’égoïsme, la bêtise, la misère, la lâcheté ordinaires, le nazisme au quotidien sans le nommer, « la peste brune » qui contamine les esprits. Bien-sûr le meurtre, mais la violence de ce roman est finalement ailleurs, plus complexe malgré l'évidence, elle est grouillante, grondante. Ce malaise, le malsain, les âmes perdues, encore quelques unes avec des idéaux face à l’idéologie, quelques jeunes, dans cette classe ils sont quatre, déjà, encore… Rien de sensible dans ce roman au sens premier du terme, pourtant une perspicacité au cœur des hommes, dérangeante tant elle semble juste. Et universelle.

«  Et pendant que Z. [ un des élèves ] dépeint son avenir d’antan, le moment approche. Bientôt, il y sera au jour où le bon Dieu est venu.

Z décrit la vie au camp, les cours de tir, les marches, l’exercice, le lever de drapeau, l’adjudant et moi. Et il a cette phrase singulière :

-          Les opinions de Monsieur de professeur me paraissaient souvent puériles.

Le président s’étonne.

-          Qu’entendez-vous par là ?

-          Monsieur le professeur nous parlait toujours du monde tel qu’il devait être et non tel qu’il est en réalité.

Le Président écarquille les yeux. Sent-il qu’il s’aventure sur un terrain où règne en maître la radio ? Où toute envie de morale est mise au rancart, tandis qu’on se prosterne dans la poussière devant la brutalité de la réalité ? Oui, il semble le sentir, car il cherche une bonne occasion de quitter la terre. »

.

- Lire les Classiques avec Stephie -

 *

Commentaires

  • Aifelle

    1 Aifelle Le 05/02/2014

    C'est un auteur dont j'ai souvent entendu parler, mais je ne l'ai jamais abordé. Pas trop aride ?
  • Marilyne

    2 Marilyne Le 05/02/2014

    @ Aifelle : du tout, la lecture est prenante ( du rythme par ce découpage en scènes courtes, de nombreux dialogues et personnages secondaires, les pensées et l'action se mêlent )
  • Dominique

    3 Dominique Le 05/02/2014

    J'aime bien les rééditions et les trouvailles de cet éditeur
    ce titre est noté évidemment, il me fait penser à L'heure du roi
  • Marilyne

    4 Marilyne Le 05/02/2014

    @ Dominique : " L'heure du roi " pour la propagande-propagation de l'idéologie, pour le propos philosophique et politique, certainement, mais ce roman n'a absolument pas le ton de la fable ni son ironie, très réaliste et intimiste, il donne des frissons.
    ( toujours un œil sur les parutions Sillage :))
  • niki

    5 niki Le 05/02/2014

    vaste sujet - pas sûre que cela me plairait ;)
  • Flo

    6 Flo Le 05/02/2014

    Heureusement que tu rectifies le tir de la 4ème parce que ce n'était pas gagné et, finalement, tu m'as convaincue ! Par contre, je n'avais jamais entendu parler de cet auteur :o
  • Flo

    7 Flo Le 05/02/2014

    Bon, c'est encore moi. Je viens de consulter le catalogue de la biblio qui a cette édition ainsi qu'une plus ancienne (Christian Bourgois, collection "titre") et dont la 4ème raconte la fin T_T L'art de tuer l'envie...
  • Marilyne

    8 Marilyne Le 06/02/2014

    @ Niki : pas sûre du tout...
    @ Flo : le style et le propos sont bien au-delà de cette quatrième. Quant à l'épilogue, certes... mais cela non plus ne fait pas tout ce roman, sa progression.

Ajouter un commentaire