C’était notre terre – Mathieu Belezi

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- Albin Michel -

Le domaine de Montaigne, quelque part en Kabylie : 600 hectares de collines, de champs de blé, d’orangers, d’oliviers et de vignes. La terre de la famille de Saint-André depuis un siècle Au cœur de ce petit royaume, une maison de maître et ses dépendances entourées de palmiers, d’acacias, de pins et de figuiers. Six personnages : le père, la mère, les trois enfants (dont un a embrassé la cause du FLN) et la domestique kabyle. Tout au long du roman, leurs voix s’interpellent et se répondent, se prennent pour ce qu’elles ne sont pas, tempêtent, supplient, invectivent des fantômes, se souviennent. Le passé, c’est le quotidien du colon dans sa colonie, cette façon de régner en maître sur un pays qu’il a « fait » et des gens à qui il « apporte la civilisation ». Le présent de ces voix, c’est la difficulté et l’amertume de l’exil dans une France hostile, bien peu disposée à ouvrir les bras. Et c’est aussi la souffrance d’un déracinement insurmontable. Saga des de Saint-André –avant, pendant et après l’indépendance de l’Algérie-, composé de scènes fortes – guerre, sexe, sentiments exacerbés, haines viscérales-, ce roman, comme ceux de Faulkner, traduit le chaos de la grande histoire, se dit à travers les passions de ceux qui font la petite. Le souffle qui porte de bout en bout cette saga, la profonde originalité de sa structure polyphonique et de son rythme incantatoire donnent à l’œuvre un caractère unique : on croit entendre, en la lisant, le chant funèbre des déracinés de tous les temps.

C’est une belle lecture, difficile, marquante, par son sujet, par son écriture, une lecture passionnante.

Ce roman sur la décolonisation de l’Algérie nous livre un récit profondément humain, presque intime, dans lequel les histoires racontent l’Histoire. La fiction joue pleinement son rôle. Les destins croisés des six personnages, leurs souffrances dans lesquelles se mêlent haine et amour, leurs violences, leurs souvenirs se répondent pour dresser le portrait d’une Algérie déchirée, complexe, véritable personnage à part entière.

Mais ce roman est bien plus qu’une énième saga sur le sujet, il ne faut surtout pas s’arrêter à cet aspect, au côté un peu caricatural des personnages permettant à l’auteur de couvrir les différents et multiples points de vue sur la tragédie que fut cette période de décolonisation.

L’écriture y est impressionnante, éprouvante, parfois suffocante par son rythme circulaire particulier négligeant souvent la ponctuation.  Alternant récit et monologue intérieur, la plume devient incantatoire. Ce style polyphonique n’a rien d’épique malgré la fureur qui l’imprègne, c’est un chant funèbre, obsédant.

Un chœur qui touche au cœur.

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