Demain, une oasis – Ayerdhal

 Demain une oasis de ayerdhal

- Au Diable Vauvert -

Il était moitié médecin moitié technocrate, à Genève. Il avait un nom. Il n’en a plus : on le lui a retiré un soir, avec le reste de son existence. Une limousine devant, une derrière, un coup de freins, des portières qui claquent, un pistolet-mitrailleur, deux baffes bien assénées, une cagoule, des jours dans une cave sous perfusion et somnifères… Normal pour un kidnapping ! C’est au réveil que ça commence à clocher, quelque part dans un désert africain, à côté d’un vieillard gravement gangrené, quand un commando humanitaire lui confie la responsabilité médicale du village dans lequel il l’abandonne…

– Première parution 1992 -

Il en dit beaucoup ce livre, je termine cette lecture essoufflée. Un roman engagé, à l’image de son auteur, un récit SF entre politique et espionnage.

Terrorisme humanitaire, voilà le principe. Dans un avenir presque contemporain, le monde industriel a sacrifié l’hémisphère sud au profit d’ambitieux programmes spatiaux : installation de nombreuses bases sur différentes planètes du système solaire, projets pharaoniques de  » terraformation  » de certaines d’entre elles.

L’Afrique se meurt, toujours plus victime du réchauffement climatique : sécheresse, famine, misère économique, désert triomphant, villes abandonnées, peuple migrant, décimé, avenir condamné, » ce qu’il en reste tient dans un funérarium « . Une organisation humanitaire vole ou détourne le matériel nécessaire à la survie dans les camps de réfugiés, à la création de zones aménagées autonomes et enrôle de force des scientifiques, des médecins. Ce roman raconte le parcours de l’un d’eux, bureaucrate ministériel, surnommé L’Interne.

 » – Ethiopie, Soudan, Somalie…tu n’as qu’à choisir.

Je n’ai pas choisi. Pour moi, ces trois mots signifiaient  » tiers-monde « , un vieux mot qui était passé de mode, un terme un peu idéaliste qui rappelait un problème irrésolu, juste une aiguille qui n’empêchait pas de rêver à l’espace industriel. « 

Ayerdhal ne fait pas semblant, il est direct. En parallèle d’une réelle verve romanesque, son discours est militant, cruellement réaliste. Partisan d’une utopie humaniste, il défend un rêve qui pourrait, devrait, devenir réalité. Jeux diplomatiques, enjeux politiques, pouvoir, richesse, son militantisme n’a rien de naïf, livrant une vision mondialiste. Pas de révélations ni de leçons moralisantes, les situations comme les manipulations sont connues, mais une résistance par les mots, un cynisme salutaire, une violence du récit, celle dérangeante de l’horreur brute des conditions de vie des populations africaines oubliées, et celle belle d’actions, de passion, portées par un idéal.

A travers son personnage, ses épreuves autant intellectuelles que physiques - ce narrateur qui pratique avec brio l’autodérision, ce bonhomme pas plus aveugle, passif ou lâche qu’un autre qui s’éveille à une conscience humaniste – Ayerdhal interroge sur les moyens de l’action  » qui soulage mais ne guérit rien « , sur les méthodes, sur le sens de l’engagement, sur les notions de justice et de justifié : doutes et dilemmes, contradictions et concessions, ça bouscule et ça cogite, ça agite et ça agit.

-  » …j’entrevoyais encore mal l’organisation fabuleuse que ce travail dément, désespéré, exigeait. J’étais harassé ( nous dormions quatre heures par jour, en roulant ), choqué jusqu’au plus profond, écrasé de fatigue et, surtout par cette abomination. J’ai tellement caressé de fronts brûlants qui se glaçaient d’un coup. Tellement tenu de mains qui se sont ouvertes à jamais dans la mienne. Tellement fermé de paupières d’enfants. Tellement pleuré qu’il ne me reste plus de larmes. « 

-  » … comme tous les toubibs de ces putains de camps, je les ai fait venir comme toi ! J’ai même pas cinq pour cent de volontaires, tu m’entends ? « 

-  » Je ne veux pas refaire l’univers, je veux juste que tout le monde y vive. « 

Ayerdhal ne néglige pas son récit, rythmé par des chapitres courts pour autant de péripéties, pour développer ce plaidoyer brûlant. Demain une oasis est un excellent roman d’anticipation, éloquent, au titre magnifique.

Ayerdhal a reçu le Grand Prix de l’Imaginaire pour Demain, une oasis ainsi que pour son thriller Transparences que, dans un autre genre, je vous recommande.

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Et cette phrase que j’aime bien :  » J’ai quarante ans. C’est vieux pour se targuer d’être jeune, mais c’est merveilleusement jeune pour brûler la vieillesse qu’il me reste. « 

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