Le chanteur de tango - Tomas Eloy Martinez

Chanteurtango

- Traduit de l'espagnol ( Argentine ) par Vincent Raynaud - 

On dit qu'il ne chante plus que dans quelques cabarets malfamés du port. On dit aussi qu'il est très malade mais qu'il chante parfois dans un vieux bar du centre-ville. Certains affirment qu'ils l'ont entendu chanter dans un square de Palerme, l'ancien quartier italien, et d'autres vont jusqu'à dire qu'il se produit inopinément sur les marchés populaires des faubourgs. Bruno Cadogan regarde perplexe la carte de Buenos Aires et essaie de déceler la logique qui commande les dernières apparitions de Julia Martel. Car ce légendaire chanteur de tango à la voix obscure et envoûtante, l'homme qui n'a jamais voulu enregistrer de disques, est bien plus qu'un mythe urbain. Martel est un artiste accompli qui ne laisse rien au hasard et qui dessine par sa présence (et son absence) une autre carte de la ville, les traits d'une énigme.

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- " Moi aussi je chante seulement pour ça : pour que revienne ce qui a été et que rien ne reste tel quel. " -

Ce roman, c'est un roman de Buenos-Aires, une histoire argentine, l'Histoire de l'Argentine à travers ce labyrinthe multiforme et mouvant de la ville; ville fondatrice, ville fondation, sa fondation, Buenos-Aires populaire, littéraire, politique, tragique et dissidente.

Un roman en récits enchâssés, en récits parallèles, en récits individuels, des récits de quêtes, quête de sens et de justice; un roman en dédales humains et historiques, mêlant les temps et les gens, à l'image de ce pays, pays d'immigrants, de violences politiques et de musiques; un roman dense, cruel, émouvant, prenant, dont le foisonnement n'égare pas le lecteur qui ne perd jamais le fil du plaisir de lecture. C'est une immersion totale en Argentine, dans sa culture, dans sa ville personnage à part entière, au son de tous ces noms, de tous ces refrains.

Le narrateur, un étudiant américain, grand lecteur, de poésie et de littérature française également, écrit une thèse sur les origines du tango avec pour référence J.L.Borges. C'est son regard d'Américain qui s'accroche à ses lectures, au mythe de Buenos-Aires. C'est la première phrase : " Longtemps, Buenos-Aires n'a été pour moi qu'une ville de littérature. " . L'auteur de ce roman est argentin, et pourtant, il parvient à nous dire ce regard étonné, troublé, fasciné; c'est dans cette véritable découverte de la ville et de l'histoire argentine qu'il nous entraîne. En cherchant à voir et écouter ce chanteur, malade, infirme, cet étudiant nous raconte son histoire à lui aussi, et à travers lui et les lieux, la mémoire argentine ainsi que l'actualité de l'époque du récit, la crise économique, sociale et politique de 2001, la réalité argentine de ces années là.

Quelle maîtrise narrative, un kaléidoscope argentin, un hommage, un très beau roman.

"  Le récit d'Alcira m'a fait penser qu'Evita [ Péron ] et la petite Alcantara avaient provoqué les mêmes résistances, l'une par sa beauté, l'autre par son pouvoir. Chez la jeune fille, la beauté était intolérable parce qu'elle lui donnait du pouvoir; chez Evita, le pouvoir était intolérable parce qu'il lui donnait du savoir. Leur existence à toutes deux fut si excessive qu'elles restèrent sans lieu véritable, comme tous les faits inconvenants de l'histoire. Ce n'est que dans les romans qu'elles purent trouver le lieu qui leur correspondait, comme cela a toujours été le cas en Argentine pour les personnes qui ont l'arrogance de vouloir trop exister. "

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- La photographie de couverture est signée Isabel Munoz, issue de la série Tango, visuels sur son site ICI -

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- Lecture partagée avec Dame Anne de Belgique qui m'invite à retourner et vous emmener en Argentine en sa compagnie la semaine prochaine, première semaine de septembre. De la semaine thématique, littéraire, photographique et musicale :) -

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Commentaires

  • Anne

    1 Anne Le 24/08/2015

    J'ai l'impression qu'on a appuyé sur le bouton "Publier" en même temps ;-) Tu exprimes bien mieux que moi tout ce que j'ai ressenti à cette lecture, j'aime bien comme tu fais le lien entre le narrateur et son "sujet d'observation". J'avais aussi repéré le même extrait que tu cites à la fin, j'en ai finalement retenu d'autres. De ce point de vue, nous sommes parfaitement complémentaires ;-)
  • Marilyne

    2 Marilyne Le 24/08/2015

    @ Anne : une fois de plus, les grands esprits :D
    Pour les extraits, j'en ai noté plus d'un aussi, comme tu t'en doutes. Parfaitement complémentaires ;).
  • athalie

    3 athalie Le 21/04/2022

    Bon, le côté kaléidoscope me fait un peu peur, mais vu ton engouement, et l'idée du mythe urbain, cette lecture m'intrigue et me tente. L'extrait sur Evita Perron aussi, d'ailleurs.
    Merci du conseil.
    marilire

    marilire Le 21/04/2022

    J'ai adoré ce roman, il y a une véritable émotion et un esprit des lieux.

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