Le monde du bout du monde - Luis Sepulveda

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- Editions Métailié -

- Traduit de l’espagnol ( Chili ) par François Maspero -

Un garçon de seize ans lit Moby Dick et part chasser la baleine. Un baleinier industriel japonais fait un étrange naufrage à l’extrême sud de la Patagonie. Un journaliste chilien exilé à Hambourg mène l’enquête et ce retour sur les lieux de son adolescence lui fait rencontrer des personnages simples et hors du commun, tous amoureux de l’Antarctique et de ses paysages sauvages. Il nous entraîne derrière l’inoubliable capitaine Nilssen, fils d’un marin danois et d’une Indienne Ona, parmi les récifs du cap Horn, sur une mer hantée par les légendes des pirates et des Indiens disparus, vers des baleines redevenues mythiques.

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Le monde du bout du monde est un récit maritime engagé, un beau voyage écologique au large de la Patagonie dans le sillage de Moby Dick. Journalistique, autobiographique, c’est une belle histoire un peu magique de cette touche d’improbable qui sied si bien aux textes sud-américains. La navigation tient la part belle de ce court récit, mémoires de piraterie et souvenirs de vie en mer sous la plume à la fois précise et poétique de Luis Sepulveda.

Comme dans son livre Les roses d’Atacama, l’auteur chilien raconte une histoire marginale et salue des personnalités anonymes d’exception. On y retrouve le ton parfois lyrique et mélancolique car ce texte raconte le retour en Terre de Feu après tant d’années d’exil, le bonheur et la douleur de ces retrouvailles appréhendées, ainsi que la volonté de témoigner, de dénoncer. Le propos est donc franchement militant – ce livre est dédicacé aux  » amis chiliens et argentins qui luttent pour la préservation de la Patagonie et de la Terre de Feu, à l’équipage du nouveau Rainbow Warrior, navire amiral de Greenpeace.  » – et pourtant il se lit comme un roman. Divisé en trois parties qui se rejoignent, il raconte finalement autant l’histoire de l’homme, cet homme qui écrit, que de la région. Dans la première, le narrateur, un jeune chilien, a seize ans, ce sont les années soixante. Il a lu Moby Dick, il rêve d’aventures, de traverser le détroit de Magellan, d’embarquer sur un baleinier ( scène d’anthologie que celle où, devant justifier de son envie de prendre la mer, il raconte aux marins dans une pension le roman de Melville ). Cette expérience mettra fin au romanesque pour le confronter aux réalités de la chasse à la baleine – harponnage, dépeçage, abandon de la carcasse – alors même que l’Antarctique exerce sa fascination sur lui.

«  – Dites donc. Le voyage vous a plu ?

- Oui, le voyage, le bateau m’ont plu. Et vous, et les Chilotes, et l’Argentin, vous me plaisez aussi. Et la mer me plaît. Mais je crois que je ne serai pas baleinier. Excusez-moi si je vous déçois, mais c’est la vérité.

- Dites donc. C’est pas comme dans le roman ?

Je voulais ajouter quelque chose, mais le Basque m’a pris par le bras et son regard était plein de tendresse.

- Vous savez, mon petit ami, ça me fait plaisir que la chasse ne vous ait pas plu. Il y a de moins en moins de baleines. On est peut-être les derniers baleiniers, dans ces eaux, et c’est très bien comme ça. L’heure est venue de les laisser en paix. Mon arrière-grand-père, mon grand-père, mon père, tous ils ont été baleiniers. Si j’avais un fils comme vous, je lui conseillerais de prendre un autre cap. « 

Les deux parties suivantes se déroulent quelques vingt ans plus tard. Le narrateur, en exil en Allemagne, est journaliste d’une agence d’informations alternatives spécialisée dans l’environnement. Petite structure en contact avec l’association Greenpeacequi communique des renseignements aussi étranges qu’alarmants sur un navire japonais pratiquant la pêche industrielle des baleines illégalement. Ce sera l’enquête, les façons dont les états contournent et détournent  le moratoire de 1986 interdisant cette chasse, puis le voyage, le périple maritime sur les traces de ce baleinier irrégulier en compagnie d’un farouche capitaine plus que septuagénaire dévoué à la mer. Ce sera l’émerveillement du retour. L’écriture y est prenante, particulière, alternant paragraphes maritimes, rappel de l’action de Greenpeace, légendes indiennes, histoire de ces minorités oubliées. Et l’émotion, la communion, d’un homme déraciné.

 »  Le capricieux hiver austral m’offrait une nuit incomparable. Les milliers d’étoiles paraissent à portée de main et la vision de la Croix du sud indiquant les confins polaires me remplit d’une émotion dont la force et la conviction m’étaient inconnues. Je sentis enfin que j’étais, moi aussi, de quelque part. Je sentais enfin un appel plus impérieux que l’invitation de la tribu, celle que l’on entend ou que l’on croit entendre, ou que l’on s’invente comme un palliatif à la solitude. Sur cette mer sereine mais jamais calmée, sur cette bête silencieuse qui bandait ses muscles en se préparant pour l’étreinte polaire, sous les milliers d’étoiles témoins de l’éphémère et fragile existence humaine, je sus enfin que j’étais de là et que, quoi que je fasse, je porterais toujours en moi les éléments de cette paix terrible et violente, annonciatrice de tous les miracles et de toutes les catastrophes.

Cette nuit-là, assis sur le pont du Finisterre, je pleurai sans m’en rendre compte, et ce n’était pas à cause de ce qui était arrivé aux baleines. Je pleurai parce que j’étais de retour chez moi. « 

Un hymne.

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