La vie d'un homme inconnu - Andreï Makine

Makine

- Éditions Point -

En partant pour Saint-Pétersbourg, Choutov, écrivain et ancien dissident, espère fuir l’impasse de sa liaison avec Léa, éprouver de nouveau l’incandescence de ses idéaux de jeunesse et surtout retrouver la femme dont il était amoureux trente ans auparavant. Son évasion le mènera vers une Russie inconnue où il découvrira l’exemple d’un amour qui se révélera la véritable destination de son voyage.

L’homme inconnu de ce roman n’est pas l’écrivain mentionné dans la quatrième de couverture. Cet écrivain sera celui qui écoutera le récit d’un vieillard retranché dans le silence de son monde d’avant qui reprendra la parole pour témoigner de son temps, de son ciel, de son amour. Une véritable histoire d’amour dans une histoire d’amour fantasmé, deux passés. Et ces récits, ce sont les regards, les instants d’amour qui font une vie, sauvent une vie; le talent d’Andreï Makine pour les mots qui racontent les violences des hommes et des sentiments tout en y offrant la blanche lumière de l’apaisement, de la plénitude, son talent à relever les éclats de beauté, à caresser cette beauté de ce regard qui donne sa force à cette fragilité. Une histoire d’amour dans l’Histoire, et toujours l’au-delà de l’amour, la fresque et le fugace, et l’art de l’auteur d’approcher cette  » frontière entre une jolie chute dans une belle prose et la patiente et rugueuse prose de nos vies. « 

Le narrateur de ce roman retourne en Russie à la cinquantaine après avoir quitté L’Union Soviétique pour la France quelques décennies plus tôt. Son retour coïncide avec le tricentenaire de Saint-Pétersbourg. A travers Iana, la femme moderne, épanouie, mordant dans le nouveau système à pleine dent, qui l’accueille, il ne reconnaît pas son timide amour, ni le pays de sa jeunesse. La Russie est un nouvel Occident, il lui semble avoir vécu  » une léthargie de vingt ans « , errant dans les rues, dépassé, ne parvenant à retrouver dans le lieu ce qui fit sa génération,  » la richesse de ce passé misérable « , chahuté par l’effervescence des festivités et des lois capitalistes. L’esprit manque, les mots manquent dans et pour cette Russie qui plonge  » dans le Carnaval du monde « .

 » Je ne suis pas russe, Léa. Je suis soviétique. Donc sale, bête et méchant. Très différent des Michel Strogoff et autres princes Mychkine dont les Français raffolent. Pardon… « 

 » Il aurait dû dire à Vlad qu’autrefois un recueil de poèmes pouvait changer votre vie, mais un poème pouvait coûter la vie à son auteur. Les strophes avaient le poids des longues peines derrière le cercle polaire où tant de poètes avaient disparu… Il imagine la réplique narquoise de Vlad : Et vous trouvez ça bien ? C’est ça, une question de ce genre, d’une naïveté difficile à parer. Pourquoi le goulag serait-il le critère de bonne littérature ? Et la souffrance, un gage d’authenticité ? Mais surtout qui pourrait juger de la valeur des vies, des livres ? « 

Un soir, il entre dans la chambre du vieil homme, vestige des logements communautaires, dont on attend le transfert en hôpital maintenant que l’appartement a été racheté par Iana, y poussant le grand écran du téléviseur, lui imposant le défilé des chaînes, des folies et des hommes. Ce vieil homme, que l’on croyait sourd, muet, prend alors la parole, détaché, serein. Guéorgui Lvovitch Volski raconte sans passion sa vie de passions, lambeaux de chants, de lutte quotidienne dans Leningrad assiégée, de guerre pour la patrie, de Mila et des orphelins, de la dictature stalinienne. Ce n’est pas  » la vie d’un homme inconnu  » mais la voix d’un homme inconnu, héros et martyr de son époque comme tant d’autres. Des scènes horribles, des scènes splendides, la cruauté et la pureté à la lueur d’une flamme.

Ces mots ne sont pas communication mais communion. Sur sa dernière page, cette voix a tout dit.

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