Lettres d'Amérique - Stefan & Lotte zweig

Lettreszweig

- Éditions Grasset -

New-York, Argentine, Brésil, 1940-1942

- Ouvrage établi et présenté par Darien J.Davis et Olivier Marshall -

- Traduit de l’anglais par Andrienne Boutang et Baptiste Touverey.

Ce passionnant recueil ne se limite pas à présenter les lettres écrites par Stefan et Lotte Zweig durant leur périple sur le continent américain. Les auteurs livrent un véritable travail biographique. Dans une excellente introduction de plus de 70 pages sur les quelques 300 de cet ouvrage extrêmement documenté, ils situent précisément le contexte historique et biographique du couple, livrant une véritable étude de cette correspondance et rendant à Lotte sa place auprès de son illustre époux.

L’exil de Stefan Zweig débuta en 1933 lorsqu’il quitta l’Autriche pour l’Angleterre où il rencontra Charlotte Altman en 1934 qui fut et demeura son assistante et compagne de voyage. Ils se marièrent en 1939.

Dès 1935, Stefan Zweig voyage sur le continent américain ( se rendant à plusieurs reprises à New-York, il est reçu dans une trentaine de villes ainsi qu’au Canada ). En 1936, Stefan Zweig fait une première tournée de conférences sud-américaines mais reste résolument tourné vers l’Europe où se poursuivent ses voyages jusqu’en 1938, attaché à sa vie anglaise, à sa résidence à Bath, station thermale du Somerset. La nostalgie de cette maison suivra le couple lors de leur seconde expatriation vers le Brésil. Stefan et Lotte Zweig, naturalisés en 1940, détenteurs d’un passeport britannique, ainsi libres de voyager à nouveau, quittent l’Angleterre cette même année, répondant à de nouvelles invitations américaines. Il est frappant de constater que pour les époux Zweig, la vie en Amérique du Sud n’est pas perçue comme un départ définitif de l’Europe mais bien comme un long voyage.

Cet ouvrage, foisonnant et dense, présente une correspondance à sens unique, c’est-à-dire les lettres écrites par Stefan et Lotte, principalement à Hanna et Mandfred Altman, le frère de Lotte et son épouse, installés à Londres, disposant à la demande des Zweig de leur maison de Bath, ainsi que les lettres envoyées à Friderike Zweig, première épouse de Stefan avec laquelle ils conservèrent des relations amicales.

Ces lettres sont proposées en trois parties pour trois périodes : – l’Argentine et le Brésil d’août 1940 à janvier 1941 – New-York de janvier à août 1941 – le Brésil d’août 1941 à février1942. Chacune de ses périodes sont à nouveau présentées avec précision par les auteurs de l’ouvrage. En fin de recueil, ce sont les lettres d’adieux de Stefan et Lotte Zweig à la veille de leur suicide le 23 février 1942, en postface le courrier de Ernst Feder adressé à Manfred Altman en témoignage des derniers mois du couple Zweig. Enfin, si nécessaire ( car des notes en bas de pages se chargent de préciser au fil de la lecture tous les lieux, les circonstances, les évènements, les liens avec les personnes citées ), les dernières pages proposent une notice biographique de toutes les personnes citées dans la correspondance.

Toutes ces analyses précédant les lettres, on les lit finalement comme des documents, ce qui ne gâche en rien la rencontre, compte-rendu détaillé de la vie au quotidien du couple malmené par le rythme des manifestations et mondanités auxquelles ils participent, à la fois contraintes et opportunités, par son angoisse pour la famille et les amis restés en Europe, miné par la culpabilité d’une vie protégée, socialement suractive et pourtant solitaire, souffrant de réelles fatigues physiques et psychologiques, de ne pouvoir envisager l’avenir, de leur difficultés à s’adapter à l’Amérique du Sud.

Ces lettres racontent leur impatience des nouvelles d’Europe, les multiples démarches qu’ils effectuent pour obtenir des visas à leur famille et amis, le soutien financier qu’ils leur apportent, les sollicitations ( Lotte autant que Stefan ), les conférences qui assurent la sécurité financière des Zweig en exil, cette sécurité vécue comme honteuse, comme frustrante tant elle dévore le temps à consacrer au travail de recherche et d’écriture. On y lit l’aspiration à (re)trouver la paix, l’horreur de ce qu’ils apprennent de la guerre, les soucis de santé de Lotte victime d’un asthme sévère que le climat humide et chaud sud-américain aggrave alors que son époux est accablé par la chaleur. Étonnamment, on n’y lit pas d’intérêt particulier pour l’histoire et la culture sud-américaines mais une vision  » vieille Europe  » idéalisée de cette société métissée, comme en témoigne le livre de Stefan Zweig «  Brésil, une terre d’avenir « . On y lit surtout le déracinement qui se traduit – c’est bien le mot – par le parcours linguistique des Zweig, l’allemand, l’anglais ( langue dans laquelle les lettres furent écrites pour que leur distribution ne soit pas ralentie par les services de contrôles britanniques ) mêlant les mots yiddish et français, l’apprentissage de l’espagnol puis du portugais; des lettres de réfugiés, si renommés soient-ils.

Ce besoin de calme, de trouver un lieu d’accueil frais et paisible les amènera à Petropolis, une retraite qui deviendra réclusion, où la mélancolie et le désespoir s’installeront définitivement.

 » Nous pourrions être parfaitement heureux ici si vous ne nous manquiez pas. Lotte se comporte en grande dame ici, elle préside des réunions, se fait prendre en photo et apparaît dans les journaux dans toute sa splendeur. Le soir, nous finissons toujours par nous emmêler un peu les pinceaux, à force d’alterner sans répit l’anglais, le français, l’espagnol, l’allemand, le yiddish et le portugais; comme vous le verrez dans nos lettres, nous ne sommes plus capables de nous exprimer correctement dans aucune langue que ce soit. La semaine prochaine, j’ai un programme bien rempli et nous confondons les gens, à cause de leurs noms à rallonge ( tout le monde a au moins trois noms de famille ) et du fait qu’ils parlent au moins trois langues, et c’est difficile de retenir un seul visage lorsqu’on en rencontre chaque jour au moins une douzaine. [...] « 

- Stefan Zweig – Rio – 10/09/ 1940 -

 » [...] Je veux travailler, et ça m’a été presque impossible pendant mon cycle de conférences, et avec les incessants voyages. L’heure tourne, et bientôt ce sera ma dernière année dans la cinquantaine, et je ne pense pas parvenir à écrire un jour un livre, avec cette nouvelle vie qui commence à soixante ans ! Est-il nécessaire d’ajouter que nous pensons constamment à vous et que nos vœux de bonheur parcourent l’océan, ce même océan qui s’étend, si bleu et serein, sous nos fenêtres, tandis que vous devez lutter contre les forces de ce diable qui veut détruire nos vies. A jamais vôtre. « 

- Stefan Zweig – Rio – 22/11/1940 -
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